Ceux qui envisagent de gratifier leurs proches ont un intérêt fiscal à leur transmettre des titres porteurs d’une plus-value latente et qu’ils ne souhaitent pas conserver.
En donnant ses titres, le détenteur initial ne supporte aucune imposition de plus-value et peut donc donner plus, tandis que l’heureux gratifié réalisera peu ou pas de plus-value taxable s’il cède ensuite les titres qu’il a reçus. La raison en est simple : la loi prévoit que leur prix de revient correspond à la valeur déclarée à la donation, qui est proche du prix de cession, voire égale à celui-ci.
Ce faisant, une telle opération est-elle critiquable par l’administration fiscale ?
Le Conseil d’Etat qui, en rejetant l’allégation d’un abus de droit, avait répondu négativement pour la première fois à cette question dans un arrêt du 30 décembre 2011 (n° 330940 Motte-Sauvaige), est venu apporter des précisions complémentaires par plusieurs arrêts récents.
1. Rappel des dispositions légales
On rappellera qu’à titre de règle de principe, la législation française, qui prévoit à la fois l’imposition des donations et transmission par décès (qui peut atteindre 60% de la valeur des titres donnés) et l’imposition des plus-values (qui peut atteindre près de 65% du gain), écarte heureusement le cumul de ces deux impositions.
En effet, sauf rares exceptions sur lesquelles nous reviendrons ci-après, la donation (ou la transmission par décès) ne déclenche que l’exigibilité des droits de mutation à titre gratuit et purge la plus-value latente sur les titres, la loi prévoyant que le prix de revient des titres pour les gratifiés correspond à la valeur déclarée pour les droits de mutation.
Il a bien été envisagé de revoir cette règle de non cumul à la fin de l’année 20121. Le législateur avait adopté un projet de loi aux termes duquel, dans l’hypothèse où la durée entre la donation et la cession par le gratifié serait inférieure à 18 mois, le prix de revient à retenir pour le calcul de la plus-value réalisée par le donataire devrait correspondre à la valeur d’acquisition des titres par le donateur augmentée des droits de donation. Ce même projet de loi prévoyait également un second dispositif tendant à limiter l’effet de purge des donations de titres reçus en rémunération d’apport de titres placé sous le régime du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI (cf. infra).
Le Conseil constitutionnel avait alors censuré le premier dispositif au motif qu’il faisait peser sur le donataire une imposition supplémentaire sans lien avec sa situation mais liée à l’enrichissement du donateur et que le critère de la durée séparant la donation de la cession ne pouvait suffire à présumer de manière irréfragable le caractère abusif de la succession des opérations2. A l’inverse, le second dispositif relatif à la donation de titres assortis d’une plus-value en report n’a pas été invalidé par le juge constitutionnel, qui semble tout autant critiquable pour les mêmes motifs.
Quelques exceptions au principe de non cumul existent toutefois.
Il en va ainsi des actions issues d’un plan d’attribution de stock-options ou d’actions gratuites pour lesquelles la donation déclenche l’imposition respectivement de l’avantage tiré de la levée de l’option ou de celui tiré de l’attribution des actions gratuites. A cet égard, on relèvera que le projet de loi Macron qui envisage notamment d’alléger le traitement fiscal des actions gratuites ne prévoit pas de déroger à cette règle. Cela s’explique par le caractère salarial de l’avantage selon le législateur, qui le distingue désormais clairement d’un gain d’actionnaire.
En cas de donation de titres reçus en rémunération d’un apport placé sous le régime du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI, la plus-value placée en report est imposée entre les mains du donataire en cas (i) de vente des titres reçus en rémunération de l’apport dans les 18 mois de la donation ou (ii) de cession des titres apportés dans les 3 ans l’apport, sans réinvestissement par la société bénéficiaire de l’apport dans les 2 ans de la cession d’au moins 50% du produit de la cession dans des « activités économiques ».
En outre, rappelons que les donations de titres de sociétés inscrites au bilan d’une entreprise individuelle constituent en principe, sauf option pour un régime de report, un fait générateur d’imposition des plus-values latentes sur ces titres.
Enfin, il y a lieu d’évoquer les donations de titres en nue-propriété. Si ces donations ont en principe pour effet de purger la plus-value latente sur la nue-propriété, elles peuvent néanmoins se révéler défavorables pour l’application des abattements pour durée de détention lors de la revente des titres en cas de cession conjointe de la nue-propriété et de l’usufruit sans répartition du prix de vente et en l’absence de quasi-usufruit. En effet, l’Administration considère que dans cette situation, l’impôt de plus-value, qui est intégralement à la charge du nu-propriétaire, doit être déterminé en tenant compte, pour le décompte de l’abattement pour durée de détention, de la seule date de la donation de la nue-propriété (et non de celle de l’usufruit)3.
2. La donation doit précéder la cession
Le premier point d’attention est celui de la chronologie des opérations. A cet égard, il est impératif qu’une suite de transferts de propriété intervienne, de manière absolument incontestable, successivement du donateur au donataire, puis du donataire au cessionnaire.
S’agissant des cessions d’actions, cotées et non cotées, le transfert de propriété résulte de leur inscription au compte de l’acheteur (art. L228-1 du Code de commerce).
S’agissant des cessions de parts sociales (régies par le Code civil), le transfert de propriété intervient en principe, sauf stipulations contractuelles contraires, par le seul accord des parties sur la chose et sur le prix.
Les arrêts du Conseil d’Etat visés ci-après intéressent donc plus particulièrement les opérations portant sur des parts sociales (SARL, SNC, SCI).
Dans l’une des affaires, la famille concernée par la donation des titres s’étant rapprochée d’un tiers acquéreur avant la transmission des parents aux enfants, la Cour d’appel avait cru pouvoir admettre que la date de l’accord (et donc de la vente) était antérieure à la formalisation de la transmission. Selon la Cour, la date de la vente était celle à laquelle la société mère de l’acquéreur avait autorisé son cautionnement sur la base d’un nombre et d’un prix des titres (déterminés avant la transmission) identiques à ceux qui avaient été portés par la suite sur le registre des mouvements de titres. Mais le Conseil d’Etat (CE 19 novembre 2014 n° 370564) y voit un simple faisceau d’indices tandis que l’acte authentique qui constate la transmission des titres aux enfants porte une date (postérieure) que l’Administration ne conteste pas valablement.
Le Conseil d’Etat a aussi rappelé que lorsque la cession est assortie d’une condition suspensive (en l’espèce, la réalisation d’un audit), le transfert de propriété ne peut pas intervenir avant sa levée (arrêt du 28 mai 2014 n° 359911).
En pratique, l’Administration aura donc du mal à remettre en cause la chronologie des opérations sur le terrain de la procédure contradictoire de droit commun (des affaires plus anciennes nous avaient déjà confirmé l’échec de procédures fondées sur le terrain de l’abus de droit).
3. La donation doit se traduire par le dépouillement immédiat et irrévocable du donateur
Lorsque la donation ne se traduit pas par un « dépouillement immédiat et irrévocable de son auteur », selon la formule consacrée par le Conseil d’Etat, l’Administration peut l’écarter comme ne lui étant pas opposable sur le fondement de l’abus de droit fiscal.
En pratique, l’Administration et le juge de l’impôt (et le cas échéant, le Comité de l’abus de droit) vont apprécier si le donateur s’est réapproprié le produit de la vente.
En premier lieu, on relèvera, comme l’a confirmé le Conseil d’Etat (arrêt du 9 avril 2014 n° 35822), que la rapidité avec laquelle la cession suit la donation (en l’espèce, moins d’un mois) est sans incidence sur l’appréciation de la réalité de l’intention libérale du donateur. A cet égard, on rappellera que le Comité de l’abus de droit fiscal a déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de valider des délais extrêmement courts, tels que notamment un délai de seulement 2 jours4.
En outre, une attention particulière doit être portée aux stipulations encadrant la donation.
Le Conseil d’Etat a été conduit à analyser la portée de plusieurs clauses sur l’appréciation de la réalité du dépouillement (même arrêt).
Il a ainsi admis que le donateur peut valablement assortir la donation d’une clause d’inaliénabilité des biens donnés durant la vie du donateur. De même, lorsque la donation porte sur la nue-propriété de titres, il est admis que le donateur s’octroie en tant qu’usufruitier des pouvoirs étendus de gestion et de décision au sein de ces sociétés sous réserve qu’ils n’altèrent pas l’obligation de restitution en fin d’usufruit.
Deux arrêts du Conseil d’Etat du 14 novembre 2014 (n° 361482 et 369908) illustrent au contraire l’absence de dépouillement suite à une donation en démembrement (avec création d’une société de portefeuille de famille) : le donateur avait effectué des prélèvements sur le compte courant et/ou encaissé un prix de cession auquel il ne pouvait prétendre en sa qualité d’usufruitier. Les juges ont écarté les allégations selon lesquelles ces prélèvements auraient correspondu à un prêt consenti par le donataire ou au remboursement par ce dernier des droits de donation en l’absence de justificatifs probants.
Ces décisions, confirment donc que, sous réserve du respect de la chronologie et de la réalité du dessaisissement du donateur, les opérations de donation-cession constituent une voie pertinente pour transmettre un patrimoine financier en purgeant les plus-values latentes.
Notes
1 Cf. Projet de Loi de finances rectificatives pour 2012 (III), article 19.
2 Cf. Conseil constitutionnel: Décision n° 2012-661 DC du 29 décembre 2012.
3 Cf. « Réformes des plus-values sur valeurs mobilières: vers une évolution des nouveaux commentaires administratifs » – Olivier de Saint Chaffray et Thomas Laumière – Option finance 5 janvier 2015.
4 Cf. Avis n° 2002-17
Article paru dans le magazine Option Finance le 16 février 2015